Sambhav est un homme sikh qui vit à Old Delhi. Batul est une femme musulmane qui vit dans le Cachemire. Un été et une balle perdue les sépare. Cette balle a traversé le corps de l’ex-compagnon de Sambhav pendant une fusillade entre l’armée indienne et les groupes indépendantistes au Cachemire. C’est ce jour qu’a commencé pour lui un deuil et un parcours initiatique qui allait se conclure par sa conversion à l’islam, où Sambhav est devenu Iqbal, et son changement de sexe, où Iqbal est devenu Batul. C’est cette transition que nous avons documentée en l’accompagnant, jour et nuit, dans son retour au Cachemire. «Batul» est un documentaire qui prend la forme d’un portrait intimiste, construit en 5 chapitres, au fil desquels nous assistons à son évolution et, à travers son corps, aux paradoxes d’une société.

Sambhav is a Sikh man living in the Medina of Old Delhi. Batul is a Muslim woman living in Kashmir. One summer and a stray bullet separate them. This bullet passed through the body of Sambhav’s ex-partner during a shootout between the Indian army and separatist groups in Kashmir. That day marked the beginning of his mourning and an initiatory journey that would lead to his conversion to Islam, where Sambhav became Iqbal, and his gender transition, where Iqbal became Batul. This transition is what we documented, following them day and night on their return to Kashmir. ‘Batul’ is a documentary that takes the form of an intimate portrait, structured into five chapters, through which we witness their evolution and, through their body, the paradoxes of society.

Sambhav

Sambhav vient d'une famille plutôt aisée, d'un père hindou et une mère sikh. Il a grandi dans un quartier musulman de Old Delhi, c’est probablement ce qui a sauvé sa famille des massacres anti-sikhs de novembre 1984. Il vit entouré de livres dans une haveli, maison traditionnelle, avec sa mère, ses frères et ses cousins. Il travaille comme guide militant pour la reconnaissance du patrimoine islamique en Inde dans un contexte où la communauté musulmane est persécutée.


Il y a quatre ans, Sanbhav a choisi de se convertir à l’islam chiite, une minorité au sein d’une religion déjà minoritaire en Inde. Sambhav, “la possibilité”, est devenu Iqbal, “l’avenir”.

Le jour où nous arrivons chez lui, il avait les mains ornées de mehendi, ces motifs au henné traditionnellement appliqués par les femmes lors des mariages et autres événements religieux

Sambhav comes from a relatively well-off family, with a Hindu father and a Sikh mother. He grew up in a Muslim neighborhood of Old Delhi, which likely spared his family from the anti-Sikh massacres of November 1984. He lives surrounded by books in a traditional-style haveli with his mother, brothers, and cousins. Sambhav works as an activist guide, advocating for the recognition of Islamic heritage in India, particularly in a context where the Muslim community is increasingly persecuted.
 

Four years ago, Sambhav chose to convert to Shia Islam, a minority within an already marginalized religion in India. Sambhav, meaning « the possibility, » became Iqbal, meaning « the future. » On the day we arrive at his home, he has mehendi on his hands, traditional henna designs worn by Muslim women during weddings and religious events.

Le pèlerinage

En nous servant un agneau mijoté par ses soins, Sambhav nous explique que son ex-compagnon, originaire du Cachemire, a perdu la vie 16 ans plus tôt dans une fusillade avec l’armée indienne. En 2019, le parti nationaliste hindou au pouvoir, le BJP, a révoqué l’article 370 de la constitution indienne qui accordait un statut spécial au Cachemire. Depuis, la région a été bouclée, les réseaux de communication largement limités. Sambhav n’a pas pu se recueillir sur sa tombe depuis six ans. En terminant son récit, il nous propose de l’accompagner et de retrouver sa tombe. Nous acceptons. Il tient a prendre le bus qu’il avait l’habitude de prendre avec lui : 24 heures de voyage jusqu’aux confins de l’Himalaya sur des petites routes pour arriver, au lever du soleil, dans une région montagneuse et humide.

While serving us lamb stew that he had prepared himself, Sambhav explained that his ex-partner, who was from Kashmir, had lost his life 16 years earlier in a shootout with the Indian army. In 2019, the ruling Hindu nationalist party, the BJP, revoked Article 370 of the Indian Constitution, which had granted Kashmir special status. Since then, the region has been under lockdown, with communication networks severely restricted. Sambhav has been unable to visit his partner’s grave for six years. As he finished his story, he suggested that we accompany him to find the grave. We agreed. He insisted on taking the same bus he used to take with him: a 24-hour journey along narrow roads to the far reaches of the Himalayas, arriving at sunrise in a misty, mountainous region

« Je ne suis pas retourné sur sa tombe depuis 2019 »

I will never heal

Sambhav se souvient très peu de l’emplacement du cimetière. Dans ses souvenirs, il est sur une pente, près d’une route. La famille du défunt, conservatrice, refuse de lui donner l’adresse. Nous en visitons plusieurs, avant de perdre l’espoir de la retrouver. Sambhav honorera sa mémoire d’une autre manière.

Sambhav recalls very little about the cemetery’s location. In his memory, it is on a slope, near a road. The deceased’s conservative family refuses to give him the address. We visit several cemeteries before losing hope of finding it. Sambhav will honor his memory in another way.

Live like Ali, die like Hussien

Contrairement à l’Inde et au Pakistan, le cachemire n’était pas directement sous administration britannique. Sa population, très majoritairement musulmane, vivait sous le règne d’un maharajah hindou qui souhaitait rester indépendant lors de la scission entre l’Inde et le Pakistan. Mais lorsque des groupes rebelles et des militaires pakistanais ont tenté d’envahir le pays, le maharajah appelle Nehru au secours. C’est ainsi que le Cachemire, majoritairement musulman, a été rattaché à l’Inde malgré la partition confessionnelle des deux pays.

 

90% des habitants sont musulmans et 90% des musulmans sont sunnites. Mais le Cachemire reste un lieu important du chiisme. Iqbal vivait aussi ce voyage comme un pèlerinage sur les lieux saints de sa nouvelle religion. Nous sommes arrivés une semaine avant le mois de Mouharram, le plus sacré dans le chiisme, pendant lequel il a pu assister à l’Aïd-el-Ghadir et à l’Achoura.

Unlike India and Pakistan, Kashmir was not directly under British rule. Its population, predominantly Muslim, lived under the reign of a Hindu maharaja who wished to remain independent during the partition of India and Pakistan. However, when rebel groups and Pakistani military forces attempted to invade, he called Nehru for help. This is how Kashmir, despite being predominantly Muslim, was joined with India despite the religious division of the two countries.


90% of the inhabitants are Muslim, and 90% of those Muslims are Sunni. However, Kashmir remains an important place for Shia Islam. Iqbal also experienced this journey as a pilgrimage to the holy sites of his new religion. We arrived a week before the month of Muharram, the holiest time in Shia Islam, during which he was able to attend Eid al-Adha and Ashura.

Installation des ornements du mois de Moharram, sacré pour les chiites

On négocie avec la vie

La région, connue pour sa beauté, était une destination de vacances privilégiée des anglais. Construite autour du lac Dal, Srinagar, la capitale, a développé une tradition de « houseboats », des péniches habitables, tradition qui s’est développée dès le XIXe siècle. C’est l’une de ces péniches que nous avons louée afin d’offrir une bulle de liberté, à l’écart de la ville pour Iqbal et les personnes issues de la communauté LGBT.

 

Le deuxième soir, Iqbal nous a demandé de le photographier pour un amant. Dans l’intimité kitsh et feutrée de notre houseboat réaménagé en studio photo, il a ajusté ses porte-jarretelles, enfilé une nuisette sur son corps entièrement épilé, et mis sa perruque. Pour la première fois, nous découvrons Iqbal sous ses traits féminins. Désormais, nous devrons l’appeler Batul. Cette séance photo, hésitante et touchante, a marqué une étape symbolique dans l’affirmation de son identité féminine.

The region, known for its beauty, was a favorite holiday destination for colonial settlers. Built around Dal Lake, Srinagar, the capital, developed a tradition of houseboats—habitable barges—a tradition that began in the 19th century to accommodate English tourists. It was one of these houseboats that we rented to offer a bubble of freedom for Iqbal and members of the LGBT community.

 

On the second evening, Iqbal wanted to send photos where she felt beautiful to a lover. In the kitsch and cozy intimacy of our houseboat, she adjusted her garter belt, put on a slip over her freshly-shaven body, and donned her wig. It was the first time we saw Iqbal in her feminine appearance. From now on, we would call her Batul. This photo shoot, hesitant and touching, marked a symbolic step in the affirmation of her feminine identity.

Iqbal se tirait la peau du visage devant le miroir pour nous expliquer les opérations qu’il allait faire afin de ressembler à Catherine Deneuve

La cérémonie

Le dernier soir nous avons loué une autre péniche pour célébrer l’anniversaire de Batul. Une péniche connue, nous dit-on, pour accueillir des soirées que la morale réprouve. Pour la première fois de sa vie, Batul s’est présenté au public habillée en femme. Au milieu de la nuit, les membres de la communauté musulmane et LGBT dont Batul est devenu proche ont improvisé un rituel inspiré des mariages pour l’accueillir dans la communauté. Batul pleurait, les autres tapaient dans des tambours ou lui dessinaient du mehendi sur les mains, cette bulle de liberté était rare dans cette région.

Au lever du soleil, une shikara (gondole kashmiri) s’approche de notre love hotel flottant, conduite par un homme, issu de la minorité pachtoune, qui nous propose de faire un tour du lac. Nous montons a 5 sur la barque. Batul est devant, à côté de lui. En rentrant, ce dernier accepte l’invitation de Batul à partager sa chambre.

Le lendemain matin, avant de nous dire au revoir, Batul nous confie : « c’est la première fois que j’ai pu être moi-même. »

On the last evening, we rented another houseboat to celebrate Batul’s birthday. The boat was known, we were told, for hosting morally dubious parties. For the first time in her life, Batul presented herself to the public dressed as a woman. In the middle of the night, members of the Muslim and LGBT communities, whom Batul had become close to, improvised a ritual inspired by weddings to welcome her into the group. Batul cried, while others beat drums or painted mehendi on her hands. This bubble of freedom was rare in this region.

At sunrise, a boat approached our floating love hotel, steered by a man from the Pashtun minority. He offered us a tour of the lake. Five of us boarded. Batul sat at the front, next to him. On the way back, he accepted Batul’s invitation to share her room.

The next morning, before saying goodbye, Batul confided in us: ‘This is the first time I have truly been myself.’

Exposition

Rohan

Rohan incarne une partie des paradoxes auxquels nous avons assistés au Cachemire. C’est un jeune issu d’une famille très pieuse d’un village au sud de Srinagar. Tiktokeur, il assume totalement sa sexualité en public. Il est aussi très religieux.

Rohan embodies some of the paradoxes we witnessed in Kashmir. He is a young man from a deeply religious family in a village south of Srinagar. A TikToker, he openly embraces his sexuality in public, while also being very devout in his faith

Rohan est issu d’une famille pauvre d’un village au sud de Srinagar.

Son père n’a jamais vraiment accepté les orientations sexuelles de son fils.

L’Aïd el Adha est la fête musulmane la plus sacrée dans la communauté chiite. Rohan a déclamé une prière devant le portrait de l’ayatollah Khamenei avec son copain.