Chaque dirigeant égyptien a sa pyramide. Hosni Moubarak a voulu créer un nouveau delta du Nil dans la région d'Assouan. Aujourd'hui, le pays n'a toujours pas son indépendance alimentaire mais les pays du Golfe ont de l'eau à bas prix. Explications.

La Nouvelle Vallée de Moubarak appartient-elle déjà au passé ?

C’est une crue exceptionnelle du Nil, en 1996, qui a rappelé à Moubarak un projet que Nasser avait eu en construisant le barrage d’Assouan : utiliser la retenue d’eau du lac Nasser pour créer une oasis monumentale dans le désert. En 1997 les objectifs sont annoncés : augmenter les surfaces cultivées de 5% à 25% du territoire pour atteindre 225 000 hectares. Il s’agit de créer un nouveau delta du Nil pour nourrir une population en constante augmentation, atteindre l’indépendance alimentaire alors que le pays importe plus de la moitié de ses ressources alimentaires, et conquérir des nouveaux espaces habitables où devra s’installer à terme 20% de la population. Car il faut rappeler que seule la vallée du Nil, c’est à dire 5% du territoire est habitée et que la densité de population du Caire est de plus en plus difficile à gérer. Ce projet devait en somme résoudre le problème démographique, alimentaire et le chômage, en créant tous les emplois liés à la future industrie agro-alimentaire de la région (1). Les travaux devaient être terminés en 2002, et la Nouvelle Vallée porter ses fruits en 2017. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

28.154367, 29.049682

27.260186, 42.798402

Un canal de 310 kilomètres, une station de pompage monumentale, un ensemble de lacs, les « Lacs de Toshka » non prévus et quasiment asséchés, et une surface cultivée équivalente à 10% de la surface prévue et opérées par seulement deux entreprises et une perte d’eau potable importante. En fait, les cultures demandent une quantité d’eau plus importante que le surplus du lac Nasser qui devait irriguer cette oasis, ce qui implique le forage des nappes d’eau fossiles. Par ailleurs, la construction du barrage de la Renaissance par le Soudan, en amont du Nil, compromet une grande partie des ressources espérées.

Amateur de gigantisme, le président al-Sissi a relancé le projet en 2016, ce qui a eu pour conséquences visibles le creusement d’un nouveau canal et la réapparition d’un des lacs de Toshka, visible sur l’image animée au-dessus.

Ce projet est lié à un autre enjeu stratégique évoqué dans Géographie de la Domination, celui du land-grabbing mené par l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe pour faire face à l’échec de leur propre tentative de fertiliser leurs déserts et qui consiste à acheter des terres dans des pays étrangers pour conserver leurs ressources en eau. Ici, les terres leur ont littéralement été données : 50 livres égyptiennes le feddan, alors que le prix moyen est de 11 000 livres. L’eau consommée depuis la cession des terres a été facturée, quand à elle, 20 millions de livres alors que, selon le prix du marché, elle aurait du atteindre les 420 millions de livres (2).

1 Christophe Ayad, « L’Egypte voit son désert en vert. Le pharaonique projet Touchka prétend résoudre tous les problèmes », Libération, 27 novembre 1999

2 Nada Arafat et Saker El Nour, « How Egypt’s water feeds the Gulf », madamasr.com, 15 mai 2019